“UNE DES PLUS REMARQUABLES ARTISTES DE CE TEMPS.”
Guillaume Apollinaire, L’INTRANSIGEANT,
25 février 1912
1866, Marie-Joséphine Vallet
Jacqueline Marval nait à Quaix, près de Grenoble. Elle s’appelle d’abord Marie-Joséphine Vallet, dont les premières syllabes du prénom et du nom donneront plus tard Marval. Deuxième enfant d’une famille d’instituteurs, elle poursuit sans grande conviction des études qui la destinent à l’enseignement et à une carrière d’institutrice. Elle se marie, mais la perte de son fils provoque le tournant décisif de son existence. Jacqueline Marval ne veut plus de sa vie d’épouse. Elle quitte son mari et doit alors s’assumer seule. Sa créativité, ainsi que son assurance lui permettent d’acquérir une certaine renommée en tant que giletière. C’est en exerçant ce métier, dans un premier temps à Grenoble puis à son arrivée à Paris, qu’elle pourra subvenir à ses besoins. Plusieurs de ses amis racontent qu’elle prenait ses draps en guise de toile pour compléter les châssis de ses tableaux.
1895, l’arrivée à Paris
Jacqueline Marval quitte sa région natale, direction Paris, où elle emménage dans le quartier de Montparnasse (9 rue Campagne-Première), au coeur d’un vivier d’artistes. Marval rencontre le peintre Jules Flandrin (1871 - 1947), avec qui elle vivra une histoire d’une trentaine d’années, ainsi que Matisse, Van Dongen, Marquet, Picasso, Manguin, Camoin… Nombre d’entre eux, impressionnés par sa force de caractère et sa personnalité hors-norme, deviendront ses amis. Jacqueline Marval commence une peinture spontanée. Vive, elle peint des paysages sur des couvercles de boites à cigares en deux coups de pinceaux pour montrer à ses amis et élèves de l’atelier Gustave Moreau (dont Marquet, Matisse et Flandrin) une peinture directe, sans fioritures.
“FATIGUÉE DES PRÉTENTIONS DES ÉLÈVES DE GUSTAVE MOREAU, ELLE PEINT RAPIDEMENT QUELQUES PAYSAGES SUR DES COUVERCLES DE BOITES À CIGARES, POUR MONTRER À FLANDRIN ‘COMMENT FAIRE’”
Hilary Spurling, The Unknown Matisse, 1998
1901, première rencontre
Sa première participation au Salon des Indépendants marque le début de sa carrière de peintre. Ambroise Vollard y acquiert dix toiles, dont Odalisque au Guépard (1900), autoportrait nu de Jacqueline Marval, et peut-être le premier de l’histoire de l’art. Le célèbre marchand achètera et vendra les œuvres de Jacqueline Marval pendant une dizaine d’années, succédé par Eugène Druet et Berthe Weill.
1902, Chez Berthe Weill
Jacqueline Marval et ses amis Henri Matisse, Albert Marquet et son compagnon Jules Flandrin exposent pour la première fois en galerie chez Berthe Weill, unique galeriste femme à Paris aux premières années du siècle. À cette même époque, elle fut, avec Ambroise Vollard, l’une des seules galeries à exposer de jeunes artistes contemporains. Le début des années 1900 est synonyme de succès pour Jacqueline Marval, qui débute alors une dense activité picturale qui sera jalonnée de nombreuses expositions tant à Paris (Galerie Druet, Salon des Indépendants, Salon d’Automne,) qu’en Europe (Cercle de l’Art Moderne, Grafton Galleries London, Palais Youssoupoff, Gand, Galerie Crès Zurich, Exposition d’Art Français à Prague…), aux États-Unis (Armory Show, Metropolitan Museum, Pittsburgh, San Francisco) ou encore en Asie (Musée National de Tokyo, Ohara).
“JE SURPRENDRAIS PEUT-ÊTRE UN CERTAIN NOMBRE DE VISITEURS DES INDÉPENDANTS EN AFFIRMANT QUE MADAME MARVAL, QUI SE SOUVIENT ELLE AUSSI DE MANET, N’EST PAS DÉPOURVUE DE QUALITÉS. (…) MADAME MARVAL A DE LA NOBLESSE ET UN STYLE TRÈS PERSONNEL”
Élie Faure, L’Aurore, 1er avril 1903
1903, Les Odalisques
C’est au Salon des Indépendants de 1903 que Jacqueline Marval présente son chef d’oeuvre, Les Odalisques (1902-1903), aujourd’hui conservé au Musée de Grenoble.
Marval se distingue en présentant ce grand tableau avant-gardiste bien particulier, d’une part par son sujet - une scène de bordel - et d’autre part car le peintre de cette scène est une femme, qui a eu l’audace de se représenter en prostituée cinq fois sur cette toile, audace que ses pairs n’ont pas manqué de relever. Parmi eux, Apollinaire, Matisse, Elie Faure, remarquent le tableau qui deviendra représentatif de l’artiste.
1903, La galerie Druet
Sa rencontre avec Eugène Druet, organisée par Albert Marquet, suivant celle de Matisse et du galeriste, marque un tournant important dans la carrière de Jacqueline Marval.
Druet, qui ouvre sa galerie au tout début du XXe siècle sur les conseils de Rodin, décide rapidement d’y présenter des artistes peintres, toujours sur les conseils du sculpteur: “Il y a une place à prendre: je vous indiquerai tout un groupe de peintres d’avenir” (Auguste Rodin).
Druet exposa Marval lors d’une cinquantaine d’expositions au fil de sa carrière, en groupe (aux côtés de Cézanne, van Gogh, Marquet, Picasso, Manguin…) ou seule, comme à l’exposition Jacqueline Marval de 1912, où plus de quarante de ses œuvres sont présentées, dont certaines de la collection d’Ambroise Vollard.
Si Jacqueline Marval fût exposée rapidement et intensément, à la mesure de sa production pendant ses trente années de carrière, on ne peut nier le rôle d’Eugène Druet, son ami, dans sa reconnaissance.
1913, New-York, L’Armory Show
1913 marque la première exposition de Jacqueline Marval aux États-Unis, où elle reviendra les années suivantes à diverses occasions (exposition au Metropolitan à New-York (1919), à Pittsburgh en 1925, 1926, 1929, 1930, à San Francisco à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1915, Saint Louis en 1916, etc).
Invitée par Ambroise Vollard, qui aide à la création de l’évènement, Jacqueline Marval expose à l’Armory Show (International Exhibition of Modern Art), L’Odalisque au Miroir de 1911 (d’ailleurs très souvent confondue avec Les Odalisques, son chef d’œuvre de 1902-1903).
Sa présence à ce salon la place sur le devant de la scène moderne européenne et lui confère une certaine importance. Le peintre et écrivain Athur Hoeber qualifie l’évènement des “plus inspirant” (Globe, 9 mars 1913). Véritable salon d’avant-garde, l’Armory Show démontre que la modernité vient de l’Europe : c’est la première fois que les cubistes sont exposés aux États-Unis et que les américains découvrent chez eux les mouvements qui définissent la peinture moderne.
“Ce n’est pas amusant, c’est consternant et écœurant. On m’a attribué, l’autre jour, le fait d’avoir dit que la race humaine approchait la démence.
Je ne l’ai jamais dit, mais si on cherche à me convaincre que ceci est de l’art moderne et qu’il est représentatif de notre temps, je serai contraint de le penser”
(À propos de l’armory show)
Kenyon Cox, Harper’s Weekly, 1913
1913, Paris, le Théâtre des Champs-Élysées
En 1913, Jacqueline Marval participe au grand projet d’architecture qu’est le Théâtre des Champs-Élysées, à Paris.
Cet édifice historique, considéré comme l’un des premiers du style Art Déco, est le premier édifice en béton des architectes Auguste et Gustave Perret. Le choix de ce matériau place le Théâtre des Champs-Élysées comme bâtiment d’avant-garde, bien avant que d’autres ne reprennent l’utilisation du béton, comme Le Corbusier.
Entourée de Bourdelle, Maurice Denis, Vuillard et Ker-Xavier Roussel, Jacqueline Marval est chargée de réaliser les huit panneaux qui seront le décor du foyer de la danse. Ces panneaux représentent différentes scènes du ballet russe Daphnis et Chloé, clin d’oeil évident à la danse mais également à quelques vieux messieurs qui pourraient trop s’attarder dans ce foyer de la danse, où de jeunes danseuses répètent et passent leur temps.
Cette commande confirme l’importance de son rôle dans le monde de l’art moderne, et plus généralement sur la scène artistique française.
“Puisque, dit-on, des vieillards qui croient que l’argent leur attribue des droits et des mérites, viennent ici en conquérants, ces murs les avertiront que la nature ne se plait à unir que la jeunesse avec la jeunesse”.
(À propos des panneaux de Jacqueline Marval au théâtre des champs-élysées)
PAUL JAMOT, LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS, PREMIER SEMESTRE 1913
1920s, Biarritz
Dans les années 1920, Jacqueline Marval est une artiste établie. Avec Flandrin, et grâce à ses amis, dont le Couturier Paul Poiret, Jacqueline Marval découvre Biarritz, et y passe dès lors beaucoup de temps. À cette époque, Biarritz devient une des principales sources d’inspiration de Jacqueline Marval. On doit à ses différents séjours, ses plages, baigneuses et pêcheurs, mais également ses œuvres Jardin de ma Voisine (1923) et Jardin de mon Voisin (1923).
Plus que de simples scènes de baignade, ces toiles sont représentatives d’une époque - le début de la plage comme loisir, les changements quant au vêtement et à la façon de chacun de se l’approprier, qu’il commence à ressembler à ce que nous connaissons du maillot ou non, c’est un regard sur le corps qui change avec la société. Marval passe du modèle nu propre à la peinture, au baigneur, caractéristique d’une société se mouvant vers les premiers congés.
Tout au long de sa vie, Jacqueline Marval sera présente lors des Salons parisiens où ses toiles (et elle) seront grandement remarquées. Si sa personnalité exubérante la distingue, c’est grâce à son talent que Jacqueline Marval est influente.
En cela, on lui demandera à plusieurs reprises de produire les affiches des salons, d’illustrer les cartons d’invitation et les couvertures des catalogues de salons et évènements parisiens : Salon d’Automne, Bal de l’Amicale aux Artistes…
“DEUX ARTISTES REQUIÈRENT NOTRE ATTENTION QUI DEMEURERONT LES SEULES GRANDES FIGURES DE L’ART FÉMININ AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE”
(À propos de Marval et Laurencin)
André Salmon, La Jeune Peinture Française, 1912
À la toute fin des années 1920, après avoir été reconnue et couronnée de succès durant toute sa carrière de peintre, Jacqueline Marval ignore la maladie qui commence à la ronger. Le critique d’art René-Jean, son ami de toujours, la fait admettre en urgence à l’Hôpital Bichât. Jacqueline Marval y meurt à la fin du mois de mai 1932.
Son décès sera raconté dans toute la presse française. Ses oeuvres sont aujourd’hui dans de nombreuses collections privées et publiques, en grande partie en France et aux quatre coins du monde.
Depuis 1932, l’année de sa mort, en dehors de quelques tentatives privées en galerie (Crane Kalman, Les Aristoloches, Galerie Thomire), une seule exposition rétrospective de son travail a vu le jour, au Musée Hébert en 1987.